CHAPITRE XXXV
ÉPILOGUE
À mon grand regret, je dois dire qu’une fois la porte refermée sur le groupe de Franklin Clarke escorté des policiers, j’éclatai de rire.
Poirot me regarda d’un air étonné.
— Mais oui, vous lui avez dit que son crime n’était pas sportif !
— C’est la pure vérité. Le côté abominable de son acte n’est pas tant le meurtre de son frère que le fait de laisser condamner un infortuné à une mort vivante : attraper un renard, l’enfermer dans un placard et ne point le laisser échapper ! C’est du sport, cela ?
Megan Barnard poussa un profond soupir.
— Je ne puis y croire. Est-ce donc vrai ?
— Oui, mademoiselle. Le cauchemar est fini.
Elle le regarda et se mit à rougir.
Poirot se tourna vers Fraser.
— Mlle Megan était hantée par la crainte que ce fût vous l’auteur du second meurtre.
— Moi-même je l’ai cru un instant, dit Fraser avec calme.
— À cause de votre rêve ?
Poirot s’approcha du jeune homme et baissa la voix :
— Votre rêve provient d’une cause toute naturelle. L’image d’une des sœurs s’efface déjà de votre souvenir pour laisser la priorité à l’autre. Mlle Megan a pris dans votre cœur la place de sa propre sœur, mais comme vous répugnez d’être infidèle envers celle qui vient de mourir, vous essayez de chasser le nouvel amour, de le tuer ! Telle est l’explication de votre rêve.
Les yeux de Fraser se posèrent sur Megan.
— Ne craignez pas l’oubli, conseilla doucement Poirot. Vous retrouverez cent fois plus de qualités en Mlle Megan… un cœur magnifique !
Le visage de Fraser s’éclaira.
— Vous avez raison !
Nous assaillîmes tous Poirot de demandes sur tel ou tel point qui nous demeurait obscur.
— Dites, Monsieur Poirot, ces questions que vous avez posées à chacun de nous, était-ce sérieux ?
— Quelques-unes n’étaient que des plaisanteries, mais j’appris ce que je voulais savoir. Franklin Clarke était à Londres quand la première lettre fut mise à la poste. En outre, je voulais me rendre compte de la tête qu’il ferait en m’entendant poser la question à Mlle Thora. Il ne s’y attendait pas et je vis aussitôt la colère et la méchanceté fulgurer dans son regard.
— Vous n’avez guère, ce me semble, témoigné d’égards envers mes sentiments, dit Thora Grey.
— Mademoiselle, vous ne m’avez pas répondu avec franchise, répliqua Poirot d’un ton sec. À présent, votre second espoir s’est évanoui. Franklin Clarke ne deviendra pas l’héritier de son frère.
Miss Grey rejeta fièrement la tête en arrière.
— Dois-je rester ici plus longtemps pour recevoir vos insultes ?
— Rien ne vous y oblige, fit Poirot, tenant poliment la porte ouverte devant elle.
— Cette empreinte digitale sur la machine à écrire a été le coup décisif, dis-je pensivement. Lorsque vous en avez parlé, toute la morgue de Franklin Clarke l’a abandonné.
— Très utiles, en effet, les empreintes digitales.
Il ajouta, rêveur :
— J’ai ajouté cela simplement pour vous faire plaisir, mon ami.
— Alors, Poirot, ce n’était pas vrai ?
— Pas le moins du monde, mon ami, dit Hercule Poirot.
***
Quelques jours plus tard, nous eûmes la visite de M. Alexandre-Bonaparte Cust. Après avoir serré avec effusion la main de Poirot et essayé, de façon incohérente et malhabile, de remercier mon ami, M. Cust se redressa et dit :
— Si je vous disais qu’un journal m’a offert cent livres, oui, cent livres, pour que je lui donne un bref récit de ma vie et de mon histoire. Vraiment, je ne sais ce qu’il faut faire.
— À votre place, je ne me contenterais pas de cent livres, recommanda Poirot. Insistez. Exigez cinq cents livres et soyez ferme. En outre, ne vous limitez pas à un seul journal.
— Croyez-vous que je puis, réellement…
— Mais oui ! encouragea Poirot en souriant. N’êtes-vous pas célèbre ? En vérité, vous êtes l’homme dont on parle le plus en Angleterre actuellement.
M. Cust se redressa et la joie éclairait son visage.
— Ma foi, vous avez raison ! La gloire ! Dans tous les journaux ! Je suivrai votre conseil, Monsieur Poirot. Cet argent arrive au bon moment. Je me paierai des vacances, et j’offrirai un joli cadeau de noces à Lily Marbury, une charmante petite fille, tout à fait charmante, Monsieur Poirot.
Poirot lui tapota l’épaule.
— À la bonne heure ! Prenez un congé et jouissez un peu de l’existence. Attendez, un dernier conseil : Si vous alliez consulter un oculiste ? Ces maux de tête proviennent certainement d’un défaut de vos lunettes. Faites changer les verres !
— Vous croyez que tout mon mal vient de là ?
— J’en suis persuadé.
M. Cust donna une chaleureuse poignée de main à Poirot.
— Vous êtes, sans contredit, un grand homme, Monsieur Poirot.
Comme d’habitude, mon ami ne dédaigna pas le compliment ; il ne réussit même pas à paraître modeste.
Lorsque M. Cust eut franchi le seuil, d’une allure fière et hautaine, mon vieil ami sourit en me regardant.
— Et voilà, Hastings. Une fois de plus nous avons été à la chasse, n’est-ce pas ? Vive le sport !
FIN